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Docteur Jean-Georges Rozoy


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Dr J.-G. Rozoy

CARROYEZ !

(Les gisements de plein-air - Conditions d'utilisation)



Jadis utilisés très largement (et sans discernement), les sites de surface ont subi longtemps une éclipse justifiée par les abus qui en avaient été faits et qui avaient conduit la recherche dans des impasses. Ainsi la farce du "Campignien" prétendu pré-néolithique, qui nous a tant retardés pour la compréhension de l'Epipaléolithique ("Mésolithique"), et la théorie du Néolithique (et même Chalcolithique) "de tradition tardenoisienne". Un bon demi-siècle de travail a établi la chronologie au moyen des stratigraphies et des gisements clos, dont les séries d'outils et tous les vestiges sont étudiés en qualités et en quantités. La palynologie et les datations radiométriques (et d'autres) viennent étayer et préciser le tout. D'où la mise en place de plus en plus détaillée des périodes et sous-périodes, avec des tableaux de corrélations interrégionales et internationales qui nous montrent, tout au moins pour les cultures des chasseurs, la grande généralité des évolutions sur place et un très bon synchronisme global des phénomènes interculturels à travers toute l'Europe, les décalages temporels demeurant faibles dans ce cadre (ce qui ne dispense pas d'y prendre garde). C'est sur ce fonds solide, et avec le souci louable de préciser la distribution géographique des cultures, que se manifestent actuellement des essais de réutiliser des "stations de surface", autrement dit des sites qui, comme Pincevent, Etiolles ou Gönnersdorf, correspondent à la vie des hommes et des femmes préhistoriques dans des camps de plein-air, mais sans la protection isolante apportée à ces témoins célèbres par des couches de limon (de cendres volcaniques pour Gönnersdorf) déposées peu après le séjour de nos ancêtres. Ce n'est pas sans danger. Le tri typologique auquel on procède parfois dans un mélange d'industries ne nous fournit aucune sécurité dans le diagnostic, même purement qualitatif : une dizaine de burins ne font pas le Paléolithique supérieur. La plupart des outils ne sont pas assez caractéristiques pour être attribués à une période, même assez vague. L'élément essentiel d'un outillage, l'équilibre entre les catégories d'outils, ne peut être approché. Un mélange demeure un mélange, c'est-à-dire des objets sans identité, inutilisables. Le problème n'est pas d'analyser des mélanges, mais d'obtenir des séries homogènes.

Un élément intermédiaire est constitué par des sites de plein-air recouverts tardivement ou médiocrement, par exemple dans les étroits îlots sableux tertiaires du Tardenois ou de la vallée du Loing, dans le limon picard de la Somme, dans les amas de coquilles (Téviec, Hoédic) ou dans les sables quaternaires des Flandres belges ou des Pays-Bas. N'apparaissant pas à la surface, ces gisements n'en sont pas moins exposés à diverses causes de mélange : on trouve généralement dans chaque concentration de silex du Tardenois, en moyenne, une ou deux pointes de flèches néo-chalcolithiques que des animaux fouisseurs se sont fait un plaisir d'introduire en pleine couche tardenoisienne (mais les pointes de flèches sont, par destination, exposées à être perdues hors des habitats, elles ne sont donc qu'une pollution isolée). Les foyers postérieurs (jusqu'au Gallo-romain) sont la plupart du temps creusés par leurs auteurs dans la partie supérieure de la couche archéologique, alors que les traces de feu plus anciennes ont été lessivées par la percolation et ont disparu. Ces perturbations cependant n'ont pas empêché la constitution d'un excellent cadre typologique et chronologique, y compris dans des régions totalement privées de ressources stratigraphiques (Bassin parisien, travaux de R. Daniel, E. Vignard, R. Parent, J. Hinout, J.-G. Rozoy; Pays-Bas, travaux de R. R. Newell; Danemark, Allemagne du Nord... Consulter les colloques "Le Mésolithique en Europe"). Une pointe de flèche chalcolithique parmi 500 ou 1000 outils retouchés (et 30 000 déchets de taille) de l'Epipaléolithique moyen ou même final, outre un caractère évidemment intrusif (vu l'écart chronologique montré par les stratigraphies et le radiocarbone), ne fait porter aucun doute sur la qualité et sur la quantité des outils du fonds commun (qui seraient indiscernables entre ces deux époques). Il y a même moins de pollutions dans ces cas que pour beaucoup de couches des stratigraphies. En effet, celles-ci sont par définition situées à des points d'appel, fréquentés à toutes les époques, et la succession très serrée des couches (parfois un millénaire pour quelques centimètres) expose à des contaminations par terriers ou par cryoturbations. Ces dernières ont conduit historiquement à des "complexes" associant deux cultures bien différentes qu'il n'a pas toujours été facile de séparer aux yeux de tous...

D'où provient la différence manifeste entre les sites "de surface" qui ont mené à tant d'errements et les gisements "de plein-air" (souvent assez mal clos) qui, même moins spectaculaires que Téviec et Hoédic, sont comme eux fiables dans l'ensemble ? Cet écart ne tient pas à la nature ouverte des uns, plus ou moins fermée des autres, ni au fait du plein-air. Des fouilles menées absolument en surface, dans une couche ne dépassant parfois pas 20 ou 30 cm sur le rocher, fournissent constamment des ensembles tout aussi comparables à ceux des stratigraphies que ceux des sites de plein-air plus ou moins recouverts (Rozoy 1978, Marlemont; 1990, Roche-à-Fépin; 1993 b, Allée Tortue IV). La différence ne tient pas au site, mais au type d'exploitation. Dans un cas on fouille et on tamise sur 50 ou 100 m2, dans l'autre le prospecteur a ramassé sur un hectare ou deux, soit 10 000 ou 20 000 m2. C'est-à-dire cent à deux cent fois plus !

Nos collègues bénévoles prospectent de plus en plus en surface. Cela vient pour une bonne part de la réglementation draconienne dont l'application restrictive limite de plus en plus la fouille, dans la plupart des régions, au seul bénéfice des professionnels. Bénévole comme eux, ancien prospecteur, je puis me permettre de dire à nos collègues, et il est grand temps d'y revenir et d'y insister : ramasser sur un hectare, c'est pratiquement la certitude d'obtenir un mélange ! Ce mélange n'existait généralement pas sur le terrain, il y a longtemps que l'on a montré des répartitions distinctes (Parent 1962, Trugny et Caranda, les piéces mésolithiques sont chaque fois concentrées en un point, le Néolithique est dispersé sur tout le champ; Rousseau 1967, Les Richoux, même chose). Il faut absolument carroyer. Repérer les concentrations de silex et les séparer. Prendre des repères au bord du champ (arbres, poteaux, etc), les noter sur un plan (vous n'êtes pas immortel, et vous travaillez pour la science, non pour votre seule satisfaction personnelle). Installer en bordure un repère fixe que la charrue n'arrache pas (fer à béton enfoncé plus bas que le niveau du labour, boîte de conserve enterrée dessus pour le retrouver). Marquer les silex aussitôt (même les déchets). Les conserver séparément, par concentrations ou par zones. Travailler en coopération au sein d'une association. Etudier et publier vos séries, au besoin en vous faisant aider par un chercheur plus avancé. Déclarer vos trouvailles au Service régional de l'Archéologie, qui tient à jour la carte archéologique. Les déposer dans ou les léguer à une institution assez sérieuse pour les bien conserver. Ce sont les conditions absolues d'un travail scientifique, sinon mieux vaut laisser les objets dans le sol pour un collègue plus patient. Ramasser sur un hectare est aussi coupable que fouiller à la pioche sans tamiser ou sans respecter les couches. La loi sur les fouilles vous laisse la prospection, faites-la scientifiquement si vous ne voulez pas qu'on vous l'interdise.

Le diamètre habituel d'un site des archers épipaléolithiques ("mésolithiques") est de l'ordre de 10 m (fig. 1). Les "grands" sites qui ont 30 ou 50 m, ou plus, se résolvent souvent à la fouille soigneuse en plusieurs concentrations ne dépassant guère la centaine de mètres carrés de surface (fig. 2). Ceci est valable aussi pour le Paléolithique : voyez les vingt (et quelques) unités d'Etiolles (mais là il y a eu un petit apport de matériaux). Ou les habitations de Pincevent. Un site néolithique peut couvrir un hectare, mais avec des spécialisations d'outillage, qu'il sera bon de distinguer. Les chasseurs, moins nombreux, laissent des gisements plus petits. Dans tous les cas, une réduction drastique de la surface examinée par les prospections, de l'ordre de 100 fois, est donc indispensable. Chaque carré de 10 x 10 m, de préférence adapté à la concentration repérée, vous donnera une série petite, purement indicative, mais fiable (5 m x 5 m est encore mieux, à la limite on arrive à la fouille avec tamisage). Il faut des ensembles (homogènes) suffisamment fournis pour pouvoir utiliser les statistiques typologiques nécessaires à la distinction des cultures des chasseurs : plus de 100 outils retouchés, et de préférence plus de 200. Une étude plus complète pourra provenir soit de votre persévérance (à Himling, Gilles Belland a prouvé que trente ans de ramassage avaient collecté la totalité des silex), soit d'une fouille avec tamisage intégral depuis la surface, qui compense la réduction de l'espace entrepris. Le carroyage est la première condition indispensable (quoique non suffisante) de réhabilitation des gisements de surface.

Cette réduction de surface ne garantit pas l'homogénéité, dont la probabilité devra être testée d'après la présence éventuelle de fossiles indicateurs étrangers à l'industrie étudiée : pointes de flèches, ou, plus grave, fragments de haches polies, tessons etc, qui témoignent d'un habitat néolithique, font alors jeter un doute sur les outils du fonds commun pratiquement indiscernables : grattoirs, éclats retouchés etc. Il se peut aussi que des vestiges de plusieurs époques des chasseurs soient présents : une pointe à dos aziloïde ou, à l'opposé, un trapèze typique, dans un site épipaléolithique moyen; il est alors difficile de décider. Mais sur une surface aussi limitée la pollution par une industrie d'une autre époque est généralement assez faible pour que la statistique typologique conserve sa valeur. La recherche sur les archers épipaléolithiques ("mésolithiques") a bien dû, dans toute l'Europe, faute d'apport de matériaux depuis cette époque, utiliser très largement les sites de plein air, hors des points d'appel : les résultats ont été très satisfaisants. Les prospecteurs peuvent, sous condition de carroyage, y fournir des apports essentiels, irremplaçables, car il n'y a pas des stratigraphies ou des gisements clos partout. Or nous avons besoin de beaucoup de points pour délimiter les groupes régionaux, ce devrait être actuellement la problématique essentielle pour les cultures des chasseurs (Rozoy 1993 a). Les structures d'habitat ont évidemment été malmenées par la charrue, et il y a peu d'espoir d'en retrouver dans ces conditions. Mais on peut établir la surface occupée, et même la forme de cette occupation (ovale 4 fois à Fère-en-Tardenois, fig. 2), qui sont des éléments importants.

Cet article a été adressé à la S.P.F. au début de novembre 1993

Bibliographie

Parent (R.) - 1962 - Les gisements Néolithiques et Tardenoisiens de Trugny et de Caranda (Aisne). Bull. S.P.F. p. 64-66.

Rousseau (G.) - 1967 - La station de surface à industrie tardenoisienne des Richoux, Commune de Vaux-sur-Lunain (S.-et-M.).
Bull. S.P.F. (C.R.S.M.), p.XXIII-XXXI.

Rozoy (Dr J.-G.) - 1978 - Les derniers chasseurs. L'Epipaléolithique ("Mésolithique") en France et en Belgique. Essai
de synthèse.
Charleville, chez l'auteur, 3 vol., 1500 p., 600 FF.

Rozoy (Dr J.-G.) - 1990 - La Roche-à-Fépin et la limite entre l'Ardennien et le Tardenoisien. Contributions to the Mesolithic in Europe, Colloque de Leuven, p. 413-422.

Rozoy (Dr J.-G.) - 1993 a - Les problématiques successives du Mésolithique. Bull.S.P.F., p. 340-341.

Rozoy (Dr J.-G.) - 1993 b - Techniques de délimitation des cultures épipaléolithiques : la culture de la Somme. Colloque de Chambéry 1992, sous presse.

Légendes des illustrations

Figure 1 - Montbani II, fouille et plan R. Parent

Cette concentration assez importante, datée du Boréal, a fourni 545 outils. Le diamètre est de l'ordre de 10 m. Il est confirmé par le plan des déchets (Rozoy 1978, p. 465). Il semble y avoir eu deux unités d'habitation sises à l'est et ouvertes vers l'ouest. Montbani-13 est à quelques dizaines de mètres à l'ouest, s'ils avaient été en surface un ramassage sur un hectare les aurait mélangés, or il y a quelque mille ans d'écart.

Figure 2 - Les sites de l'Allée Tortue X A, X B et XIV (fouilles de l'auteur).

1 : arbres. 2 : parties remaniées. 3 : foyers (la plupart postérieurs). 4 : structure noire.
5 : limites des parties à plus de 15 outils au m2. 6 : limites des parties à plus de 10 outils au m2.

Les concentrations Xa, Xb et XIV ont toutes trois des formes allongées (et parallèles) dont l'interprétation demeure actuellement problématique, aussi bien que l'existence de deux centres pour A.T. XIV. La concentration I fouillée par J. Hinout à 50 m de là avait aussi cette même forme. On ne dispose pas d'un plan précis pour la concentration III fouillée précédemment, ni pour la concentration II-IV massacrée par des passages de camions. Dans ce même hectare on connaît au moins neuf concentrations de silex (dont A.T. II-IV double ou triple, cela fait dix ou plus). Elles proviennent d'au moins autant de séjours distincts des archers au cours du stade final de l'Epipaléolithique ("Mésolithique") qui a duré près d'un millénaire. Ce gros site, l'un des plus riches connus en France, est donc une accumulation de sites moyens (chacun avec 250 à 1400 outils) dont aucun n'occupe plus de 100 m2 .

Rozoy - Carroyez ! - Résumé

Les prospections des gisements de surface sont généralement effectuées sur des surfaces beaucoup trop larges (un hectare), d'où le mélange de séries qui étaient distinctes sur le terrain. Il faut ramasser par carrés de 10 x 10 m.

Abstract

Surveying open-air sites occurs generally on far too large sufaces (one hectar). That lead to get mixed series which were quite separate on the ground. It is necessary to gather on squares 10 x 10 m.


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