Le Magdalénien supérieur (au sens de H. Breuil) est la seule période de cette culture largement étendue en Europe : avant l'épisode de Bölling, il faisait trop froid, les chasseurs étaient limités au Sud-Ouest de la France, avec plus au nord et à l'est quelques très rares points visités qui ne permettent, en dehors du Périgord, aucune étude de peuplement, ni de discuter si les facies relevés coexistaient ou étaient successifs.
Les sites connus du Magdalénien supérieur
sont presque tous accumulés dans une quinzaine de zones
restreintes, les trois quarts de la surface ne comportent
que quelques gisements isolés à 50 ou 100 km du
point visité le plus proche. Depuis 20 ans, les sites découverts
sont presque tous dans les zones déjà bien fournies
; la répartition paraît donc correspondre au peuplement
réel, les sites épars, souvent pauvres, étant
le produit de visites brèves, et les régions à
sites relativement denses ayant seules été réellement
peuplées. La plupart d'entre elles comportent des reliefs
très contrastés (Rozoy, 1988a) qui permettaient
la chasse en toute saison, les animaux y migrant sur de faibles
distances (Straus, 1986). Comme dans le Jura souabe (Hahn, 1979),
presque tous les gisements sont très bas dans les vallées,
mais des sites de points de vue existent (Rozoy, 1988a).
Les bords de fleuves forment d'autres points d'appel. Des plaines
nues comme la Champagne sont évitées (Rozoy, 1988b),
mais aussi des colines, et il s'agit plutôt du choix délibéré
de petites zones favorables.
La vie était basée sur le renne, qui paraît
avoir été un choix culturel, au moins dans certains
cas, et sur le cheval, mais dans les Cantabres sur le cerf et
le bouquetin. Les matériels employés dance, javelines,
propulseur) supposent la chasse au rabattage et donc la vie
par groupes élémentaires assez nombreux : 0-60
personnes de nombre classique de 25 est trop influencé
par la relégation des "primitifs" subactuels
dans les déserts, et par l'arc, Rozoy, 1992). Le flux perpétuel
entre les groupes locaux explique la cohésion des groupes
régionaux et la rapide diftusion des inventions. Les différences
saisonnières sont fortes, difficiles à percevoir,
mais on a pu prouver que l'Ardenne n'était pas occupée
en hiver (Patou, 1992, confirmant Rozoy, 1986), ce qui pose (sans
encore la résoudre) la question de l'art comme activité
d'été.
La capacité nutritive maximale du territoire,
meilleur moyen d'évaluer la population, est hors d'atteinte
pour cette période, les animaux étant éteints
(aurochs, mammouth, bison d'Europe) ou avant émigré
dans d'autres conditions (renne). Mais on peut partir de l'estimation
faite pour l'Epipaléolithique ("Mésolithique"),
et comparer les nombres et abondances des sites des deux périodes.
A l'Atlantique, on compte sur 4 cerfs et 2 sangliers au km2, dont
on peut tuer un sur six, fournissant 60 % de viande, moins le
gaspillage, plus la pêche. Les besoins étant de 2500
calories en moyenne, il y avait 150 000 rations alimentaires disponibles
en France, mais avec de très fortes fluctuations, la population
possible (et probable) pour les archers épipaléolithiques
tourne autour de 50 000 personnes, enfants compris (Rozoy, 1978),
peut-être plus au Boréal dans une forêt plus
ouverte. Cette estimation basée sur des données
récentes plus solides doit remplacer les précédentes
(Biraben et Dupaquier, 1988 : 12 000 à 13 000). Il y a
beaucoup plus de sites épipaléolithiques que du
Magdalénien supérieur (30 à 50 fois plus,
Rozoy, 1985, 1992), mais ils sont moins riches et ceux du Magdalénien
sont moins faciles à identifier. Les silex des deux époques
ne répondent pas aux même fonctions, il faut aussi
compter avec la manie des armatures au Tardenoisien, avec la longue
durée de l'Epipaléolithique (4 fois plus longue
que le Magdalénien supérieur) et surtout avec l'occupation
de tout le terrain par les archers. On peut conclure à
un rapport de l'ordre de 1 à 4 (en faveur des archers,
détails dans Rozoy, 1992).
La population du Magdalénien supérieur serait donc
de 12 000 à 15 000 personnes en France, enfants compris.
Ce chiffre global est cohérent avec celui proposé
par Ambroise-Rendu(1967) et par F. Bordes (1969) : 50 000 au plus,
et par E.S. Deewey (1960) pour la planète : 3 à
4 millions ; il est plus proche de celui de Biraben et Dupaquier
(1988) ; 15 000 à 20 000 (leur documentation de départ
est, ici, plus conforme aux progrès des connaissances).
Le calcul de L. G. Straus (1986), pour les Cantabres, fournitune
remarquable confirmation par critères externes en faveur
de 12 000 : 200 à 250 personnes pour une fraction de territoire
de 1 250 km2, soit 2 000 à 2 500 par groupe régional
occupant 10 000 à 15 000 km2, mais dans la partie la plus
chaude.
La discussion de la population par périodes est
difficile : la plupart des sites ne sont datés qu'entre
la fin du Dryas 1 et le début de l'Alleröd (fouilles
anciennes ou conditions physiques défavorables). On avait
postulé une expansion démographique dans le Sud-Ouest
au Magdalénien VI (donc au Dryas Il) à cause du
grand nombre et de la richesse des sites. Mais cette période
aurait duré trois fois plus longtemps que le Magdalénien
V (Bouvier, 1979), ce qui explique l'abondance des dépôts.
Il n'y a en tout cas pas d'expansion (au contraire) en Belgique
et en Rhénanie où tous les sites datés le
sont du Bölling (Rozoy, 1989). Il n'y a pas non plus de reflux
de population vers le sud-ouest, cela aurait introduit dans cette
région des particularités typologiques que l'on
n'y constate pas.
Fig. 1 : Le Magdalénien dans le Massif Central,
d'après Daugas et Raynal (1976). Il y a plusieurs groupes
de sites, et les espaces vides, en particulier dans le Nord, ne
semblent pas avoir été inabordables. Sites isolés
dans la montagne du sud-ouest.
Les groupes de sites observés sur le terrain proviennent
de groupes humains distincts. Les compositions typologiques
(silex comme outils en bois de renne ou autres) sont différentes,
et l'art (Sieveking, 1986) ou la parure (Taborin, 1987) apportent
des confirmations ou précisions. Exemples loin d'être
exhaustifs : le burin bec-de-perroquet, propre au Périgord,
l'abondance constante des lamelles à bord abattu dans le
Massif central, les burins sur troncature qui dominent en Rhénanie
(en Ardenne ils sont dièdres). Deux groupes géographiques
peuvent provenir des mêmes personnes : les sites de l'Ardenne
ont la même composition lithique détaillée
que ceux près de Paris (Rozoy, 1988a) et des fossiles parisiens
y ont été apportés (Rozoy, 1989b). C'est
probablement le même cas entre le petit groupe de la Vienne
et celui du Périgord, qui utilisent les mêmes coquilles
fossiles venant de l'Atlantique 200 km. Par contre, le bloc Périgord-Quercy
serait à scinder, et peut-être celui des Pyrénées.
Il y a 6 groupes humains régionaux en France et en Belgique,
un en Suisse (Sedlemeyer, 1989), trois ou quatre à l'Est,
deux en Espagne (celui du versant méditerranéen
ne pourra être précisé qu'après avancement
des études). L'identification des groupes régionaux
ne peut se faire sur un ou deux fossiles "indicateurs"
ni sur une technique, mais doit résulter de la convergence
de traits communs appartenant à plusieurs domaines.
Cela survient toujours dans un secteur géographique défini,
et la société du Paléolithique supérieur
était beaucoup plus fortement structurée qu'on ne
le croyait.
Fig. 2 : Le Magdalénien supérieur (Bölling et Dryas II) en Europe. Cette carte a été établie principalement à partir de "La Préhistoire française", "La fin des Temps glaciaires en Europe", "L'art des cavernes" et "Le Magdalénien en Europe". Divers collègues, notamment C. Cacho, J.M. Fullola Péricot et J. Sedlemeyer, ont aimablement communiqué à l'auteur des manuscrits alors inédits. Régions habitées : nombre de stations certaines. Zones visitées : un point par site certain. L'opposition est frappante entre les zones utilisées et les régions pratiquement vides, avec des gisements isolés, à 50 ou 100 km du gisement le plus proche.
La structure géographique de chaque groupe reproduit
celle de l'ensemble : il y a des agglomérations de
sites distants de quelques kilomètres, et parfois moins,
et entre eux des zones vides qui ne sont pas toujours dues à
des obstacles matériels (fig. page précédente).
Les Magdaléniens ont occupé certains points et laissé
d'autres vides, ou ne les ont visités que brièvement,
négligeant ce que les Aurignaciens ou les Solutréens
avaient utilisé, dans des circonstances écologiques
qui nous paraissent semblables. C'est un trait général
du Paléolithique supérieur : on n'utilise pas tout
le terrain.
La composition des groupes n'est pas équilibrée
: celui du Périgord n'a pas seulement plus de sites, mais
(et de loin) les sites les plus abondants, et la plupart des grottes
ornées. Les populations correspondantes étaient
sans doute très inégales. Mais il y a une limite
inférieure : Constandse Westermann et Newell (1985) montrent
qu'on ne peut compter sur moins de 800 personnes (et mieux : 1
000) pour maintenir en vie un groupe régional. La dispersion
des groupes locaux sur des surfaces trop vastes eût aussi
été un danger, et c'est sans doute pourquoi les
Paléolithiques n'utilisaient qu'une partie du terrain :
moins du quart dans l'ensemble, mais moins du dixième dans
la partie nord du pays, la plus froide. Il est douteux que chaque
groupe ait existé pendant toute la durée : F. Audouze
(communication personnelle, l'auteur la remercie) pense que les
groupes du Bassin parisien se sont aventurés dans des condi[ions
trop difficiles et ont disparu à l'occasion d'une crise.
Les surfaces réellement parcourues sont assez proches les
unes des autres : de 15 000 à 25 000 km2 par groupe. Ces
surfaces sont à peine supérieures à celles
qu'occuperont, avec des effectifs très comparables, les
cultures épipaléolithiques ultérieures (Rozoy,
1990), la différence essentielle étant que les archers
auront des voisins immédiats (puisque tout le terrain sera
occupé) que les Magdaléniens n'avaient pas. On parvient
donc au tableau suivant :
La richesse très variable des groupes explique les disparités apparentes de ces estimations. Il y a en sus 37 sites isolés, dont 16 en France. Ce sont là des bases de discussion soumises à nos collègues.
AMBROISE-RENDU M. ( 1967), Préhistoire des Français, Paris, Presses de la Cité, 20 cm, 376 p.
BIRABEN J.-N. et DUPAQUIER J. (1988). Histoire de la population française, t. l : Des origines à la Renaissance, Paris. P. U.F. (pp. 34-36).
BORDES F.( 1968), Le Paléolithique dans le Monde, Paris, Hachette. ?4 cm, 256 p., 78 fig.
BOUVIER J.-M. (1979), La Madeleine : acquis récents, La fin des Temps glaciaires en Europe, pp. 435-441.
CONSTANDSE-WESTERMANN Tr. et NEWELL R.R. (1985), Social and biological aspects of the Western European Mesolithic population structure. A comparison with the demography of North American Indians. The Mesolithic in Europe III, pp. 106-115.
DEEWEY (Jr) E.S. (1960), The human population. Scientific American 203-3, pp. 194-204.
HAHN J. (1979), Essai sur l'écologie du Magdalénien dans le Jura souabe. La fin des Temps glaciaires en Europe, pp. 203-213.
PATOU M. (1992), Apports de l'archéozoologie à la compréhension du peuplement magdalénien dans le bassin mosan (Belgique). Le peuplement magdalénien, Colloque de Chancelade 1988, pp. 309-316.
ROZOY J.-G. (1978), Les derniers chasseurs, L'Epipaléolithique en France et en Belgique. Essais de synthèse, Charleville, chez l'auteur, 30 cm, 1 500 p., 625 fig. et pl., 6 500 objets figurés.
ROZOY J.-G. (1995), Deux modes de chasse sur le plateau ardennais. Jagen und Sammeln, Festschrift für H.G. Bandi (Jahrbuch des Bernischen Historischen Museums 63-64, 1983-1984), pp. 245-252.
ROZOY J.-G. ( 1986), The Upper Magdalenian of Roc-La-Tour
I within the franco-belgian-Rhineland context.
Southampton, World Archaeological Congress, The Pleistocene perspective,
vol. 2(Preprint, 25 p.).
ROZOY J.-G. (1988a). Le Magdalénien supérieur de Roc-la-Tour I. Helinium XXVIII, pp. 157-191.
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ROZOY J.-G. (1992), Le propulseur et l'arc chez les chasseurs préhistoriques. Techniques et démographies comparées. Paléo 4, pp, 175-193.
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TABORIN Y. (1987), La Parure en Coquillages au Paléolithique. XXIX° suppl. à Gallia-Préhistoire. Paris, CNRS, 28 cm, 538 p.