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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1997

Dr J.-G. Rozoy

ARDENNIEN ET TARDENOISIEN

Convergences et différences



Résumé

Ardennien et Tardenoisien diffèrent par leur style, mais le groupement régional des particularités typologiques est la façon la plus commode de démontrer leurs différences. Les armatures ne diffèrent que par des détails peu apparents, mais leur abondance est beaucoup plus réduite dans l'Ardennien, à condition de décompter les deux industries de la même façon. Il semble que les Tardenoisiens aient mis plusieurs tranchants latéraux à leurs flèches, les Ardenniens se contentant d'une pointe, et usant beaucoup d'éclats retouchés peu employés dans le Tardenois, d'où un grand nombre de nucleus dans l'Ardennien. Les ensembles des deux industries ne répondent donc pas aux mêmes fonctions, mais la vie quotidienne était semblable. Le style de débitage de l'Ardennien, variante épaisse du style de Coincy, dérive d'une séquence technique très peu différente de celle du Tardenoisien, provoquée par le choix concernant le nombre d'armatures .

Lors de ma première visite à Bouillon chez le regretté Tony Delville , il y a quelque 30 ans, j'ai été frappé par le style de l'industrie qu'il m'avait annoncée comme "tardenoisienne", et j'ai dit immédiatement : "ce n'est pas du Tardenoisien !" (Delville1961, Rozoy 1978, p. 650-653). C'est comme un antiquaire qui vous annonce tout de suite : ce fauteuil n'est pas Louis XIV, mais Louis XV ! Il vous expliquera ensuite les différences subtiles entre les sièges, les pattes, les bras, il retournera l'objet pour vous montrer des détails de fabrication qu'il n'avait pas vus encore, et qui confirment son avis. Mais son diagnostic dépend du style, qu'un habitué reconnaît globalement dès l'abord; et qu'il est plus difficile de détailler pour le profane.

C'est de la même façon, d'ailleurs, que J.-Cl. Blanchet me fit venir en 1987 au Tillet, près de Creil (j'y suis encore !), parce que le style des silex trouvés sur le front de la sablière n'était pas celui du Néolithique régional, qu'il connaissait particulièrement bien. Il y avait dans cette section de la carrière un Mésolithique (Culture de la Somme) à bas taux d'armatures (25 % à peine, on a depuis trouvé des secteurs à 40 %). L'abondance du débitage, des éclats grossiers, des nucleus, aurait pu tromper un esprit moins averti. Mais c'est le style de ces produits qui avait alerté J.-Cl. Blanchet.

Dans les deux cas, j'ai été réticent au début, précisément parce que le style n'était pas non plus celui du Tardenoisien, culture attendue en fonction de la relative proximité du Tardenois : 100 km, avec chaque fois des sites tardenoisiens plus proches : Roc-La-Tour II à 22 km de Bouillon, Nanteuil-le-Haudouin à 30 km du Tillet. Il a bien fallu me rendre à l'évidence, trouver des indices mesurables, et reconnaître que des groupes régionaux des archers mésolithiques avaient travaillé le silex selon des traditions apparentées, mais assez différentes pour qu'on les distingue sans grand'peine avec quelque habitude. Des particularités typologiques diverses sont en effet nettement groupées régionalement. Ces groupements nécessitent une explication. On ne peut trouver celle-ci dans des différences de travaux ou de saisons, qui n'auraient aucune raison de faire changer le style de travail, entre autres choses. Le style, sur lequel on reviendra plus loin, n'est que la plus manifeste de ces particularités qui séparent les cultures voisines, mais c'est aussi la plus difficile à faire saisir à certains esprits plus doués pour l'analyse que pour la synthèse. Il est donc nécessaire de leur exposer d'abord en détail les différences typologiques, en qualités et en quantités, entre le Tardenoisien-Nord et l'Ardennien. Rappelons que cette culture, définie dans ma thèse (Rozoy 1978, chapitre 12), n'est pas limitée au massif ardennais, mais en déborde quelque peu, et de façon un peu variable dans le temps (fig. 1). En raison de l'incertitude qui entoure encore les stades récent et final de l'Ardennien, la présente étude sera centrée sur la comparaison des stades ancien et moyen avec ceux du Tardenoisien. La différence ultérieure est d'ailleurs assez évidente pour n'être pas contestable.

Les armatures : qualités et quantités

Qualités : De prime abord, les armatures paraissent les mêmes dans l'Ardennien et le Tardenoisien, aux stades ancien et moyen. Au stade récent, les abondants trapèzes typiques du Tardenoisien n'apparaissent que très marginalement dans l'Ardennien, comme le débitage de Montbani et les lames et lamelles Montbani, et l'on a bien du mal à déterminer la forme typologique que prennent sur l'Ardenne les deux derniers millénaires des archers, on s'est même parfois demandé si le massif n'était pas alors resté désert (je ne le pense pas). L'apparente identité typologique des armatures est donc limitée au Préboréal et au Boréal, avec des pointes simples, des triangles isocèles, puis scalènes, des segments de cercle, des pointes du Tardenois, toutes armatures de belle venue, minces (à peine un peu plus épaisses dans l'Ardennien) et bien régulières, à retouches bien abruptes (fig. 2). A la seconde moitié du Boréal s'y ajoutent dans le Tardenoisien des pointes à retouche couvrante. Ces dernières, comme les trapèzes, ne pénètrent dans l'Ardennien que tardivement et peu, première divergence notable. Il y a d'autres différences : les triangles scalènes à petite troncature concave ne manquent jamais dans l'Ardennien, qui ne comporte pas de triangles scalènes allongés, alors que le scalène allongé à petit côté court est constant dans le Tardenoisien ancien-moyen où la concavité de la petite troncature est rare et inconstante. Les pointes à base transversale sont fréquemment dans l'Ardennien en ogive surbaissée (fig. 2, en bas à droite) ce qui est très rare dans le Tardenoisien. Plusieurs sites à isocèles de l'Ardennien n'ont pas de segments, comme ceux du Limbourg, alors que cette association est constante dans le Tardenoisien. Même sous un angle purement qualitatif, traditionnel, un examen attentif des armatures révèle donc des différences nettes.

Quantités : Dès le stade ancien (Les Mazures, Busch Brand, Leclercq 1968, 1974, Rozoy 1978, chapitre 12), le taux d'armatures est plus bas dans l'Ardennien : 10 à 25 % au lieu de 40 à 50 %. Puis les Tardenoisiens feront de plus en plus d'armatures, les Ardenniens ne suivant que de loin (fig. 3). Mais il faut calculer les proportions de la même façon que dans le Tardenoisien, considérer les éclats retouchés (fig. 4) comme des outils. J'ai en effet démontré (Rozoy 1981, 1982) que l'éviction en bloc des éclats retouchés (Gob 1981) déforme les faits beaucoup plus gravement que l'inclusion de quelques éclats accidentés. Il faut aussi (Rozoy 1994) compter les lamelles cassées dans l'encoche (fig. 5) et les lamelles à retouches partielles régulières, qui souvent ne portent qu'une plage minime de retouches très marginales, passant facilement inaperçue si l'on trie sans lunettes ou sans un très bon éclairage. Comparer les taux d'armatures établis hors éclats retouchés et lamelles cassées dans l'encoche à ceux du Tardenoisien qui les englobent est fallacieux, cela a échappé à A. Gob (1981, p. 278). On peut penser que ces éléments "ne sont pas de vrais outils" et auraient donc "une charge culturelle moindre", mais pour les comparaisons il faudrait alors les retirer des comptes du Tardenois, ce qui rétablirait la différence. Il faudrait aussi savoir qu'en raison du nombre élevé de classes et de types on ne peut attribuer de validité à des "pourcentages" sur des séries trop courtes, au-dessous de 100 outils (10 séries sur 14 dans la liste de A. Gob, p. 278, dont 5 séries de 20 à 50 outils ! Et sans parler du recueil et de la conservation de ces séries). De toutes façons, s'il s'agit de reconnaître des groupes humains pratiquant de telle ou telle façon, peu importe que les lamelles cassées dans l'encoche soient des déchets plutôt que des outils, cela demeure des objets que certains ont faits en abondance et d'autres non. Ce qui est en cause, c'est la réalité (ou non) du groupement géographique des particularités, et notamment, ici, des bas taux d'armatures dans l'Ardennien.

Le taux le plus élevé pour un gisement fiable (bien fouillé, bien conservé, assez abondant) est celui de l'Ourlaine. En rétablissant (non sans mal) les comptes d'A. Gob selon la même méthode que pour le Tardenois, on trouve 39,5 % d'armatures (le compte de Lausberg et Pirnay (1979) donne 43 %), ce qui est bien au-dessus des valeurs de l'Ardennien et est confirmé par le rapport nucleus/100 armatures (36), intermédiaire entre les deux ensembles. Ce site est daté par le radiocarbone à 9000 B.P., donc au stade ancien. Il comporte des segments de cercle que les autres sites ardenniens attribuables à ce stade n'ont pas : cela témoigne au moins d'une influence tardenoisienne, sinon même d'une appartenance pure et simple à cette culture (fig. 6). Il y aurait donc à cette époque en Ardenne un certain flou, les groupes humains ne sont sans doute pas encore bien séparés, comme en témoigne aussi la présence de Roc-La-Tour II, tardenoisien, sur un rebord du plateau ardennais (Rozoy 1978, p. 396-408). Le plus probable est que Les Mazures, Busch Brand et Flönnes 2 sont, malgré leurs isocèles et leur manque de segments, un peu plus tardifs. Il s'agirait alors d'une division de culture, concomittante de l'augmentation de la population, comme on connaissait dèjà entre les Tardenoisiens -Nord et -Sud un peu plus tard. De toutes façons, au stade moyen, la séparation sera des plus manifestes et le taux d'armatures, entre autres éléments, indiquera plus nettement des groupes humains distincts, l'Ardennien s'étendant dans le Bassin parisien avec Marlemont et d'autres petits sites.

Un autre aspect de ce bas taux d'armatures, et non des moindres, concerne sa signification en termes de la vie quotidienne des chasseurs. On ne discute plus aujourd'hui ce fait bien établi : les armatures pointues étaient les pointes et les tranchants latéraux de flèches lancées par des arcs (Rozoy 1978, p. 949-963 et 1008-1020, Rozoy 1991 b, 1993). Cet usage est attesté, entre autres preuves, par les nombreuses fractures en languettes des pointes (fig. 2). Les études de tracéologie montrent que c'est le seul emploi (100 %). Rappelons que la flèche vole à 100 km/h et transperce un ours à 50 m. Que signifient dès lors ces bas taux d'armatures trouvés non seulement dans l'Ardennien, mais aussi au Luxembourg (Altwies-Haed, Ziezaire 1982), en Lorraine (Montenach, Galland 1995, Verseilles, Huet et Thévenin 1994), à Birsmatten (Bandi 1963, Rozoy 1978, chap. 8) et en tant d'autres régions (Bretagne, Retzien, Beaugencien, Rozoy 1978) que c'est le Tardenoisien qui fait figure d'exception avec sa manie des armatures ? La question est donc plutôt : que signifie cette multiplication des armatures au stade moyen dans quelques cultures, dont le Tardenoisien ? Rappelons d'ailleurs que nous ne trouvons dans les sites, au mieux, qu'environ un sixième des armatures fabriquées, les autres étant perdues au dehors (Rozoy 1978, p. 188, 529-533 et 849). Les taux effectifs d'armatures dans la vie quotidienne seraient donc à multiplier au moins par six (fig. 7).

Les cultures à bas taux d'armatures n'ont pas maintenu en usage des sagaies, des harpons ou des pointes barbelées, connus dans le Mésolithique d'Allemagne du Nord et de Scandinavie, puisque aucune pointe en matériel osseux n'est attestée, et que les nombreux burins nécessaires à cette fabrication ne sont pas présents. On ne possède non plus aucun indice d'usage de pièges ou d'autres procédés de capture, et il faut bien penser que les flèches ont été l'instrument essentiel du ravitaillement. La différence se ramène alors à la multiplication des armatures. On peut penser que les Tardenoisiens mettaient deux ou trois tranchants latéraux à leurs flèches, les Ardenniens n'en mettaient pas, ou peu. (fig. 8). Habitude purement culturelle, les uns ont survécu, les autres aussi, il n'y avait donc pas de nécessité vitale à l'une ou l'autre pratique. Si l'on écarte le taux d'armatures au moyen de graphiques-fantômes (fig. 9), les analogies sont assez étroites entre les outillages. Si nous expliquions les bas taux d'armatures par une chasse au filet ou aux pièges, il y aurait cette fois une différence culturelle plus importante, de même sans différence notable quant à la survie. Mais nous n'avons aucun indice positif en ce sens, au contraire.

La vie de chaque jour des archers, basée ici comme là sur le cerf et le sanglier, était remarquablement homogène. On n'y distingue ni centre plus riche ou plus dense, ni signes de domination. Les différences, utiles pour identifier les groupes, étaient probablement aussi superficielles que nos marques de voitures dans la "civilisation" (?) industrielle moderne. L'abondance des armatures a facilité historiquement l'identification du Tardenoisien et la connaissance de nombreux sites pour cette culture. Mais les habitats sont de diamètres comparables dans le Tardenoisien, l'Ardennien et le Limbourgien (et d'autres), ce qui paraît infirmer la chasse au filet, qui demande pour le rabattage des groupes plus nombreux (Turnbull 1968). Si nous écartons les armatures, les densités des outils communs dans les sites sont aussi sensiblement les mêmes. Les habitats sont sur tous les terrains sans différences sensibles dans l'outillage, identique dans une même culture (aux variations chronologiques près) en qualités et en quantités sur sables (Hergenrath (Busch Brand, Flönnes) et Marlemont), sur calcaire (Les Mazures, Roche-aux-Faucons, Coléoptère) ou sur schiste (Roche à Fépin). On connaît de part et d'autre des sites de sables, de bords de marais, de bords de plateaux, de points de vue, mais il semble que cela tienne surtout à des facteurs modernes facilitant la découverte : facilité de la recherche dans les sables, érosion aratoire en bord de plateau, examen privilégié des points d'appel. Ce n'est en tous cas pas un élément de différence entre les régions.

Les outils du fonds commun.

C'est une tautologie de rappeler que le taux global d'outils communs est le complément à 100 du taux (fig. 3) d'armatures pointues (sous réserve des lamelles à bord abattu, que l'on doit considérer séparément parce que ce sont des armatures non pointues et qu'elles portent en général des traces d'usage comme couteaux à viande ou à peaux). Ce taux global est donc élevé dans l'Ardennien : 70 à 80 % et parfois plus. A condition évidemment, comme dit ci-dessus, d'un tri poussé sous bon éclairage et en retenant tout ce qui est retouché. Et sans oublier pour autant la masse des armatures perdues hors du camp. Mais la composition interne de cet ensemble mérite attention.

Dans le Tardenoisien ancien-moyen, on trouve surtout de petits outils sur lamelles (y compris les lamelles cassées dans l'encoche, si contestées, fig. 5), des outils analogues sur lames, mais moins nombreux, même en écartant les lamelles cassées dans l'encoche, peu de grattoirs, quelques éclats retouchés, quelques lames et lamelles Montbani faites sur débitage de Coincy. Dans l'Ardennien, les mêmes outils sur lamelles et sur lames : donc une analogie qualitative, mais le rapport numérique est modifié entre les deux classes, qui sont en continuité : à peu près autant d'outils sur lames que sur lamelles, au lieu de trois à dix fois plus sur lamelles dans le Tardenoisien. Nous verrons plus loin la cause technique et la raison d'être très simples de ce glissement. Globalement, l'ensemble de ces deux classes atteint des valeurs élevées : 30 à 45 %, en apparence équivalentes à celles du Tardenoisien (fig. 6). L'analogie est toutefois fallacieuse, ces proportions ne concernent pas des ensembles comparables, puisque l'équilibre entre outils communs et armatures est radicalement différent. Dans le Tardenoisien moyen, les outils sur lames et lamelles constituent l'essentiel des outils du fonds commun : au moins les deux-tiers et souvent les quatre-cinquièmes, voire les six-septièmes, tendance particulièrement marquée au sud de la Seine, qui commence ainsi à se distinguer du Tardenoisien-Nord. Les Ardenniens et les Limbourgiens ont pendant ce temps-là développé l'usage de grattoirs (essentiellement sur éclats) et d'éclats retouchés, presque absents du Tardenoisien, et ces outils occupent une place équivalente à celle tenue par les outils sur lames et sur lamelles. Les lots d'outils communs de l'Ardennien (et de bien d'autres cultures) nous paraissent ainsi beaucoup plus équilibrés que ceux du Tardenoisien. Mais cet équilibre varie de culture à culture.

On sait que les grattoirs servaient principalement à préparer les peaux pour les tentes et vêtements, et on suppose un emploi similaire pour les éclats retouchés (lanières en cuir, dont la largeur correspond à celle des retouches de ces pièces ?). Les Tardenoisiens font très peu de grattoirs, devons-nous y voir de misérables sauvages ("dégénérés", disent les paléolithiciens) vivant nus ? Cela valoriserait les Ardenniens, mais serait certainement excessif. Les Tardenoisiens avaient probablement trouvé d'autres moyens de se débarrasser de la graisse nocive, avec des outils périssables ou autrement. Cela met en cause notre utilisation des proportions d'outils. Celles-ci sont parfaitement adaptées à l'objectif pour lequel on a créé la méthode synthétique quantitative : déterminer, dans le temps et dans l'espace, des groupes humains basés sur la technique. Mais, pour étudier les modes de vie, nous devons tenir compte de l'inégale conservation et penser constamment que nos listes d'outils (plus exactement, d'objets caractéristiques) n'englobent pas, d'un groupe à l'autre, les mêmes fonctions.

L'abondance des éclats retouchés (et denticulés) dans l'Ardennien est un élément fondamental de cette culture matérielle : l'ensemble éclats retouchés + grattoirs est généralement équivalent en nombres à celui des outils sur lames et sur lamelles, mais les grattoirs ne tiennent qu'une place modeste : à peine le quart du nombre des éclats retouchés. Dans le Limbourgien, immédiatement au nord de l'Ardennien, même équilibre entre outils sur éclats (grattoirs + éclats retouchés) et sur lames et lamelles, mais il y a plus de grattoirs que d'éclats retouchés (Rozoy 1978, chapitre 7). Les autres outils du fonds commun (perçoirs, burins etc) sont partout en nombres minimes. Il faut ajouter aussi dans l'Ardennien, en petits nombres, mais c'est qualitativement important, des outils massifs : pics, ébauches de tranchets ou de haches taillées (Gob 1975, 1981). Cela fait la jonction avec les cultures nordiques (Maglemosien) et manque totalement dans le Tardenoisien, qui en la matière emploie plutôt de rares outils prismatiques de type montmorencien ou beaugencien (Rozoy 1978, p. 827-830). Les galets et les plaquettes percutés et (ou) lissé(e)s sont par contre commun(e)s avec toutes les cultures mésolithiques en Europe.

Les nucleus

Le nombre important, et parfois énorme, des nucleus est une donnée fondamentale aussi dans l'Ardennien : Lequeux (1923) annonce 1291 nucleus à La Roche-aux-faucons (pentes), pour 142 armatures. Gob (1975) en retrouve dans les collections du Musée 561 pour 106 armatures, plus une centaine dans la collection Thisse. B. Reginster (1974) en signale 449 à Sougné pour 193 armatures, Les Mazures en a donné 28 pour 24 armatures et 186 outils, Marlemont m'en a fourni 55 pour 25 armatures et 126 outils. Soit un rapport de 70 à 500 nucleus pour 100 armatures (909 à La Roche-aux-Faucons, mais il semble y avoir là, au moins en partie, des rejets depuis la station du plateau, qui est appauvrie en nucleus avec encore un rapport de 83). Ces proportions contrastent fortement avec celles observées dans le Tardenoisien ancien et moyen : de 2 à 20 (fig. 10). Les tableaux 1 et 2 montrent cette opposition. (Le seul site ardennien qui se rapproche du Tardenoisien pour les nucleus est celui de la Roche-à-Fépin, mais c'est comme la Roche-aux-Faucons un site de point de vue et il est probable qu'une partie des nucleus a été jetée par-dessus bord, dans l'à-pic, surtout à Fépin-2, le plus proche du point de vue. La partie la plus éloignée de l'abîme, Fépin-1A, fournit 46 nucleus pour 100 armatures, en accord avec les autres sites ardenniens, l'ensemble est encore au-dessus des valeurs du Tardenoisien. Fépin est aussi, après l'Ourlaine, le site ardennien qui a le plus fort taux d'armatures : 30 % dans chacune des trois parties).

Le rapport avec les outils communs est, par contre, beaucoup plus stable et surtout plus comparable entre les cultures : de 8 à 40 nucleus pour 100 outils communs dans le Tardenoisien, de 15 à 73 dans l'Ardennien, avec le même type de tri, et de 11 à 36 dans le Tjongérien, l'Ahrensbourgien et le Limbourgien. Il est manifeste que les nucleus (et la masse des déchets) sont proportionnels aux outils communs, et non aux armatures. C'est facile à comprendre, un seul nucleus fournissant beaucoup de lamelles et permettant donc de faire un grand nombre d'armatures. L'abondance des petits outils sur lamelles dans le Tardenoisien est évidemment la cause du rapport un peu plus bas que dans les autres cultures.

Le rapport : nucleus / 100 armatures permet donc de corriger l'évaluation des sites où le tri n'a pas retenu tous les outils. Les armatures ont en effet toutes été reconnues, depuis qu'avec R. Daniel nous avons insisté sur les pointes simples à base non retouchée (Daniel et Rozoy 1966, Rozoy 1978 b). Généralement, la plupart des nucleus l'ont aussi été, bien qu'il y ait un certain flou qui peut réduire le compte de près de moitié si l'on écarte les "blocs testés", les "pronucleus", les nucleus cassés et les "nucleus non organisés" (sans plan de frappe, c'est-à-dire à plans de frappe multiples, successifs). Ecarter ces derniers, qui sont généralement des nucleus globuleux ou informes à éclats, revient à ne retenir comme "vrais nucleus" que ceux ayant fourni des produits lamellaires et laminaires, après quoi l'on déclare que les outils sur éclats, même très nombreux, ont été faits uniquement sur les produits provenant des stades préliminaires de la préparation des noyaux - ce qui pousse à les considérer comme des "outils d'occasion", guère dignes d'attention. Même en tenant compte de ces amputations (parfois explicitées, parfois non), la plupart des comptes de nucleus sont utilisables et permettent une estimation approximative des pièces caractéristiques non retenues par le trieur.

Tableau n°1 - Nucleus - Armatures - Outils communs dans le Tardenoisien.

Tableau n°2 - Nucleus - Armatures - Outils communs
a/ dans l'Ardennien et à l'Ourlaine.
b/ au Nord de l'Ardenne

Le style de débitage

Les styles de débitage dérivent évidemment des séquences techniques qui les ont produits, et qui diffèrent selon les époques et les groupes humains. Mais ils ont été décrits et individualisés bien avant que les chercheurs ne s'attachent, par les remontages des ensembles lithiques et l'expérimentation, à analyser précisément les séquences de gestes en cause. Pour le Mésolithique français, le premier syle reconnu a été celui du stade récent (mais alors on en ignorait la position chronologique) décrit par E. Octobon (1920), puis par R. Daniel (1934), à Montbani-13 dans les deux cas. Il était désigné comme débitage "du type de Montbani" et s'opposait en fait à celui moins régulier de la Sablonnière de Coincy, site éponyme du Tardenoisien et de tout le Mésolithique. Ce style de Coincy (fig. 11), toutefois, n'a été clairement dénommé et complètement décrit, et sa généralité pour le stade moyen exposée, que par moi-même (Rozoy 1968, 1978 b), avec la description plus précise du style de Montbani et celle du style de Rouffignac.

Le débitage de l'Ardennien est une variante plus épaisse du style de Coincy, comme cela a été exposé dès l'individualisation de cette culture (Rozoy 1978 a, chap. 12). Le soin de le définir plus précisément et de l'expliquer avait été laissé, par courtoisie, aux chercheurs belges. A. Gob (1981, p. 245-252) en a donné une description un peu plus détaillée. "La taille par percussion directe au bois" (lui) "paraît exclue". Il s'agit "probablement" de "celle par percussion indirecte avec percuteur en quartzite et ciseau en matière périssable". A la suite de ses mensurations, il y distingue une évolution chronologique "qui conduit d'un débitage de plus grande dimension (...) à un débitage plus petit, plus fin et plus trapu". La séquence opératoire précise et ses relations avec le style obtenu demeuraient toutefois à établir.

C'est chose faite depuis peu grâce au mémoire de maîtrise de Jérôme Walczak (1995) consacré aux débitages comparés de Tigny (Tardenoisien) et de la Roche-à-Fépin (Ardennien). Sans déflorer ce remarquable travail encore en voie de publication, disons que la séquence, parfaitement reproductible, est exactement la même que celle produisant le style de Coincy, à un petit détail près, la position exacte du point d'impact de la percussion tangentielle, un peu plus en arrière pour l'Ardennien. Il en découle l'épaisseur plus forte, qui est le seul élément de différence. L'analogie technique avec le Tardenoisien et tout le Mésolithique est donc considérable, si l'on compare ces débitages à ceux du Magdalénien ou des Aziloïdes ou au style de Montbani. Mais le groupe ardennien possède cependant, comme établi depuis 1978, des habitudes techniques conférant à ses produits une personnalité bien marquée entre ceux des cultures encadrantes du Tardenois et du Limbourg. J. Walczak en a établi le comment, ou tout au moins une partie importante du comment. Il restait à en trouver le ou les pourquoi.

Si l'on pense au nombre considérable des armatures perdues, comme il est normal, en dehors du campement, il est hors de doute que la fabrication des armatures a été l'objet essentiel du débitage du silex, même dans l'Ardennien avec un taux d'armatures de l'ordre de 20 %. L'estimation minimale des armatures perdues au dehors est de 6 fois celles retrouvées (Rozoy 1978, p. 188, 529-533 et 849). Ce qui fournit 120 % d'armatures pour 80 % d'autres outils et un total de 200 % de ce que nous connaissons. A plus forte raison pour le Tardenoisien, où la manie des armatures nous mène à 300 armatures, et même plus, sur 350 outils fabriqués. Et nous savons qu'une partie importante des outils du fonds commun a été faite sur les éclats de la mise en forme des noyaux. En outre, la spécification de ces outils est beaucoup moins exigeante que celle des armatures. On peut gratter ou percer une peau ou préparer une lanière de cuir avec un grattoir, un éclat retouché ou un perçoir de formes diverses, comprenant une partie active assez étroitement déterminée, mais une partie de support et de préhension beaucoup plus variable. La grande diversité de forme des éclats retouchés et denticulés, que l'on ne peut catégoriser que par leurs parties actives, témoigne d'une assez grande indifférence à ce sujet. Il en va de même des perçoirs et des grattoirs, faits sur des éclats très divers ou parfois sur lames ou lamelles. Quant aux lames et lamelles tronquées ou retouchées, ce ne sont probablement que des variantes aux fonctions analogues à celles des éclats portant les mêmes types et longueurs de retouches. Les armatures, au contraire, sont entièrement constituées de la partie active, et toute anomalie ou défaut dans leur forme peut entraîner l'impossibilité de montage sur la flèche ou l'inefficacité de celle-ci.

Si la confection des armatures est bien la finalité essentielle du travail du silex, le nombre des armatures désirées va avoir une influence considérable. On ne peut, en effet, commodément fabriquer des armatures qu'avec des lamelles dont l'épaisseur est inférieure à 4 mm. Au-delà, la section de la lamelle, que ce soit par la méthode du microburin ou autrement, devient difficile et aléatoire. Les Tardenoisiens, qui veulent énormément d'armatures, sont donc amenés à débiter très fin : de 2 à 3 mm d'épaisseur. Ils s'entraînent à cette fin, et par suite en viennent aussi à faire la plupart de leurs outils communs sur ces mêmes lamelles très fines. Les Ardenniens (et cela vaut aussi pour d'autres), ayant besoin de moins d'armatures du fait de leurs habitudes sociales, ne cherchent pas outre mesure à débiter très fin. Il leur suffit qu'une partie notable des lames soit fine. A peu près la moitié. Ils frappent donc le nucleus de façon moins précise, ce qui est certainement plus facile, et nous trouvons chez eux autant d'outils sur lames que sur lamelles, et des armatures un peu plus épaisses : autour de 3 mm, et jusqu'à 4 mm plus souvent que dans le Tardenois.

Le style de Coincy dépend des capacités psycho-motrices des fabricants : les Magdaléniens ne savaient pas faire le débitage de Coincy, qui permet d'utiliser de petits rognons et des silex ou des chailles médiocres. Ce style est déterminé par la séquence complexe du débitage, qui est la même sur une très grande partie de l'Europe (il y a d'autres styles, par exemple celui de Wartena, qui fournit des lamelles très étroites et plus régulières). Les variantes internes au style de Coincy dépendent par contre largement, au moins dans le cas qui nous occupe, des produits désirés, c'est-à-dire en fin du compte du nombre d'armatures que l'on veut, par pure tradition culturelle, mettre sur les flèches. C'est donc ici le choix de l'armement de chasse qui détermine les variantes techniques du débitage du silex de part et d'autre. Détermination tout-à-fait inconsciente, bien entendu. Cela confirme la validité de l'idée de base de nos recherches : identifier les groupes sociaux à partir de leurs productions matérielles, seules subsistantes.

Bibliographie

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Légendes des illustrations

Fig. 1 - Ardennien, Tardenoisien et Limbourgien.

La limite entre Tardenoisien et Ardennien a varié dans le temps : au stade ancien Roc-La-Tour II, en Ardenne, est tardenoisien, et l'Ourlaine, beaucoup plus loin du Bassin parisien, manifeste de francs caractères dans le même sens. Au stade moyen, Roche-à-Fépin et Marlemont, ce dernier hors de l'Ardenne, mais encore dans le bassin de la Meuse, sont franchement ardenniens. Les Ardenniens ont vécu sur tous les terrains : schiste à Fépin, Oizy et Bouillon, calcaire (les bandes en grisé) à Bellevaux, Laide fosse, Septrou, Sougné, Roche-aux-Faucons, Les Mazures, Wegnez, sables à Marlemont et Hergenrath (Flönnes 1 et 2, Busch Brand), alluvions à Dommery. Les Tardenoisiens aussi : sables du Tardenois (Coincy, Fère-en-Tardenois, Montbani), du Soissonnais (Tigny), de l'Ile de France (Nanteuil) et de la Montagne de Reims (Berru), alluvions à St Martin-sur-le-pré, schiste et quartzite à Roc-La-Tour II, argile à l'Ourlaine.

Fig. 2 - Le style des armatures.

A droite : Sablonnière I, site éponyme du Tardenoisien. A gauche : Marlemont, empiètement ardennien dans le Bassin parisien. Le style de réalisation des armatures est à peu près le même, mais celles de Marlemont sont plus épaisses, moins régulières, les pointes à base transversale ont une allure différente. Noter les pièces qui ont percuté, signe d'emploi en pointe.

Fig. 3 - Taux d'armatures dans l'Ardennien et le Tardenoisien.

On a ajouté au graphique publié en 1978 les deux principaux sites fouillés depuis et la stratigraphie de Birsmatten, où l'enflure des armatures au stade moyen est aussi bien moindre que dans le Tardenoisien. Autant la Roche-à-Fépin, au stade moyen, s'intègre parfaitement à l'ensemble ardennien, avec une augmentation modérée des armatures, comme à Birsmatten, autant la surprise provient de l'Ourlaine, qui en outre a peu de nucleus et a des segments, et est donc très proche du Tardenoisien, montrant que le stade ancien n'est pas, en Ardenne, aussi homogène qu'on aurait pu le penser. On ne peut guère affirmer une division régionale, puisque l'Ourlaine est à peu de distance des autres sites anciens sans segments (fig. 1), qui toutefois pourraient être un peu postérieurs. Cette intrusion tardenoisienne reste, autant que l'on sache actuellement, limitée au stade ancien. La fouille et l'analyse correcte de nouveaux sites sont nécessaires pour préciser les choses. L : Limbourgien. En marge gauche : l'Ahrensbourgien.

Fig. 4 - Eclats retouchés (Les Mazures).

Ils n'ont pas de forme définie, le seul élément constant étant, comme pour les burins, la partie active. Ce n'est pas une raison pour les rejeter, puisqu'il y en a autant dans les sites sur sable où ils ne peuvent être accidentels.

Fig. 5 - Lamelles cassées dans l'encoche, lamelles à retouche partielle régulière.

Peu importe que les lamelles cassées dans l'encoche soient des déchets de fabrication ou des outils, ce sont des objets caratéristiques, et les lamelles peu retouchées aussi.


Fig. 6 - Proportions des outils dans le Tardenoisien et l'Ardennien.

Roc-La-Tour II, Les Mazures, Busch Brand et Flönnes 2 selon mes décomptes personnels sur les pièces. L'Ourlaine, d'après A. Gob (1981), toutes réserves étant faites sur cette série en raison de l'absence de décompte détaillé, du caractère très confus et imprécis de la description, de la non-distinction entre outils sur lames et sur lamelles, des multiples erreurs de typologie et inconséquences habituelles à cet auteur. Les éclats retouchés et les lamelles cassées dans l'encoche du texte de A. Gob ont été rétablis pour permettre la comparaison avec les comptes des autres sites qui les englobent. Le nombre de nucleus a été puisé dans la publication des Lausberg et Pirnay.

Les Mazures, Busch Brand et Flönnes 2 forment un groupe très homogène, bien distinct du Tardenoisien. Leur principale différence avec ce dernier est l'abondance des éclats retouchés (un site sur calcaire et deux sur sable, où les éclats retouchés ne risquent pas d'être accidentels). Par contre l'Ourlaine, sis dans la même région, sur schiste, sans que cela induise des éclats retouchés accidentels, est évidemment beaucoup plus proche de Roc-La-Tour que des trois autres, et doit logiquement être désigné comme tardenoisien, sans avoir besoin pour cela d'écarter une part des outils. Sa différence principale avec les trois sites ardenniens comme avec Roc-La-Tour II est constituée par les segments de cercle, très abondants, alors que Roc-La-Tour, qui a peu de segments, compense par une abondance inhabituelle de lamelles à bord abattu. Les variations désordonnées des lamelles à bord abattu étaient bien connues, le cas des segments était inattendu. Mais, si on retirait les segments, les proportions resteraient celles du Tardenoisien. Il y aurait donc au stade ancien dans la région de la Vesdre un peuplement tardenoisien, probablement antérieur à la formation de l'Ardennien. La composante tardenoisienne va disparaître au stade moyen non seulement de la Vesdre, mais de tout le bassin de la Meuse, l'Ardennien étant alors présent à Fépin et à Marlemont (v. fig. 1 et 3).

Fig. 7 - Emploi du silex à l'Allée Tortue II (Tardenoisien final).

Ce site a été choisi dans ma thèse (Rozoy 1978, p. 533) parce que l'on était certains, du fait de la cassure systématique des lames "brutes", que celles-ci étaient bien des outils. Un parallèle a alors été établi avec le Ruiterskuil (Limbourgien final, p. 189). Mais, depuis, J. Walczak (1995) a retrouvé la même proportion de cassures par flexion sur les lames et lamelles de la Roche-à-Fépin (Ardennien moyen), des conclusions semblables sont donc à en déduire.

Des 6 710 silex trouvés sur 54 m2, les 2 700 éclats et débris de moins de 2 cm n'ont pas été figurés. Des 1 600 éclats de plus de 2 cm, très peu (57) ont été retouchés et transformés en outils, la plupart sont restés bruts (déchet, partie pointillée). Par contre, les 2 500 lames et lamelles sont presque toutes transformées de façon perceptible à l'oeil nu : 1 100 lames ou fragments accomodés par simple cassure étaient très probablement des outils réels, s'ajoutant aux 330 lames et lamelles Montbani et aux 300 autres outils retouvés (dont 120 armatures), figurés dans le trait épais, mais aussi aux 480 (ou même 600) armatures perdues au dehors (zone limitée en traits interrompus). Ne restent comme déchets, outre les éclats, que 300 lames et lamelles entières... encore faudrait-il les regarder au microscope à la recherche des traces d'usage.
La structure de l'outillage réel ainsi reconstitué est très différente de celle de l'"outillage" étudié classiquement... sans parler encore des outils en os (dissous), en bois, etc qui ont peut-être servi aux usages que d'autres accomplissaient avec des grattoirs et autres outils, ici très peu employés.

Fig. 8 - La flèche trouvée dans la tourbe à Loshult (Suède).

1. Le haut de la flèche (avers et revers). 2, 3 : ses deux armatures, qui se sont détachées au Musée après dessication de l'objet. 4, 5 : les deux armatures de la seconde flèche, trouvées déjà séparées (Rozoy 1978, p. 955, d'après Petersson-Malmer 1951, 1968). Si les Tardenoisiens mettaient deux ou trois tranchants latéraux par flèche, et les Ardenniens aucun, la différence des taux d'armatures est entièrement expliquée.

 

Fig. 9 - Proportions des outils dans le Tardenoisien et l'Ardennien, en éliminant le taux d'armatures (graphiques fantômes, ramenant les armatures à 50 %).

Les données sont les mêmes que pour la figure 6, mais on a arbitrairement ramené les armatures à 50 %, ce qui permet une bonne appréciation des rapports entre armatures d'une part, entre outils du fonds commun de l'autre.

Après cette manipulation, on voit que les proportions d'outils communs sont très proches entre Tardenoisien (en trait continu) et Ardennien (différents tiretés). Mais il y a dans l'Ardennien plus d'outils sur lames et moins d'outils sur lamelles. Pour les armatures, l'Ardennien a plus de triangles (et d'autant plus que le "trapèze" unique des Mazures est un isocèle mal fait), Roc-La-Tour se singularise par ses lamelles à bord abattu, l'Ourlaine par ses segments (et Busch Brand par ses pointes à base transversale, mais la série est courte, 83 outils). Il serait utile d'avoir plus de séries, on a ici trop de cas particuliers, mais la grande proximité de composition (hors taux d'armatures) évoque bien des modes de vie très voisins.

Fig. 10 - Rapport Nucleus / 100 armatures.

En fonction de la manie des armatures et du peu d'outils sur éclats, les taux du Tardenoisien (ligne continue) sont extrêmement bas, surtout au stade moyen. Ceux de Birsmatten sont un peu plus élevés, à cause des éclats retouchés, et très homogènes. Ceux de l'Ardennien sont très élevés. L : Limbourgien. En marge gauche : le Tjongérien (les deux du haut) et l'Ahrensbourgien (les quatre du bas), traduisant l'augmentation numérique des armatures au cours du temps. Les sites fouillés depuis la première publication de ce graphique s'intègrent très bien : Le Tillet (Til encadré, culture de la Somme) hors des normes tardenoisiennes, Tigny (Tig encadré) au sein du Tardenoisien. Roche-à-Fépin (A cerclé), quoique étant la valeur la plus basse pour l'Ardennien, reste bien au-dessus des valeurs tardenoisiennes. Seul l'Ourlaine, tout tardenoisien qu'il soit, reste aussi un peu plus haut (41,9), parce que c'est le stade ancien.

Fig. 11 - Le style de Coincy.

La Sablonnière, Coincy-l'Abbaye, Aisne, site éponyme du Tardenoisien et du Mésolithique (fouilles R. Daniel). Lamelles généralement courtes (3 à 4 cm), très minces (2 à 3 mm), la plupart à deux pans, aux arêtes sinueuses et bifurquées, à talon mince, portant les traces de la préparation du bord (petites retouches ou petits esquillements) et toujours plus étroit que la lamelle, à bulbe peu développé, angle d'éclatement voisin de 90°.


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

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