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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1996

Dr J.-G. Rozoy

LE BEAUGENCIEN ET SA FAMILLE DE CULTURES



Le Beaugencien est une culture du sud du Bassin parisien très mal connue et insuffisamment étudiée. L'abbé Nouel (1963) y voyait du Tardenoisien, qui alors allait du Portugal à l'Ukraine. Individualisée depuis comme culture autonome (Rozoy 1978, p. 825-889), d'après les trouvailles récentes (Huchet 1994, Violot 1994), elle va de la Loire moyenne (Beaugency, Meung-sur-Loire, Lorges) à la vallée supérieure de l'Yonne (St Privé, St Julien du Sault, Charbuy). Elle n'est connue que par des ramassages de surface, trop larges (un hectare et plus), qui mélangent les époques (Rozoy 1994). Une série de sondages a eu lieu en 1971-72 à Beaugency (Hauts de Lutz) (Rozoy 1978, p. 861-868), confirmant la très grande étendue et la très grande richesse du site : deux hectares, 100 000 outils et 5 millions de silex. Mais aussi son hétérogénéité : dans toutes les zones on relève les deux styles de réalisation des armatures dont il sera question ci-après.

Ces caractères sont retrouvés dans les autres stations : Le Mousseau et La Haute-Murée à Meung-sur-Loire, Lorges-1, Les Quatre Arpents à St Privé, Les Sablons à St Julien du Sault. Dans tous les cas on note l'abondance considérable du matériau débité et de l'outillage commun : 2 600 nucleus aux Hauts-de-Lutz, 1 000 à la Haute-Murée, 500 aux Sablons... L'étude des outils communs est impossible dans la plupart des sites à cause de la défiguration du matériel par les travaux agricoles : ce silex pressignien ne se patinant pas, les très nombreux pseudo-outils dûs aux violences modernes (14 %, taux invraisemblable pour une industrie préhistorique) ne sont pas discernables. Aux Sablons, c'est le mélange avec le Magdalénien qui empêche l'étude du fonds commun. Seul pour l'instant Lorges-1 a permis cette étude (silex patiné). Mais le rapport nucleus / 100 armatures très élevé (350 aux Hauts de Lutz) indique l'abondance des outils communs.

Ailleurs on est limité à l'examen des armatures. On y constate alors dans ces séries considérables (725 armatures aux Hauts-de-Lutz, 163 pointes du Tardenois aux Champs Bertin dans le groupe des Richoux, Rousseau 1967, Pigeot 1973) des styles contradictoires indiquant le mélange des époques. Les sites ont été visités pendant plusieurs millénaires, au cours desquels les styles de confection des armatures ont changé. D'un style très classique et très régulier, avec des troncatures bien abruptes formant de belles lignes très droites sur des pièces généralement petites et très minces (fig. 1, n° 1 à 50 et 68 à 72), on passe à des retouches semi-abruptes sur des pièces plus grandes et plus épaisses (fig. 1, n° 51 à 67). De pointes à base transversale plutôt triangulaires et courtes que du Tardenois, on passe à des pointes du Tardenois atypiques avec leur base souvent biaise, passant parfois au triangle scalène tout aussi atypique puisque souvent à retouche inverse. La retouche de base de ces pointes est souvent anormale (par rapport au Tardenoisien classique), évoquant les caractères d'un bord de nucleus. Cela indique certainement un procédé de taille différent de celui observé dans les cultures tardenoïdes. De tels caractères typologiques, mis en évidence statistiquement par Nicole Pigeot (1973), sont totalement inconnus plus au Nord dans le Tardenoisien (sauf très localement près de la frontière avec le Beaugencien) comme dans la culture de la Somme, l'Ardennien, le Limbourgien ou les groupes bretons et comme d'autre part au Sud dans le Sauveterrien et dans ses variantes régionales diverses. On les retrouve par contre dans de nombreux sites dans le vaste espace si peu étudié compris entre les cultures tardenoïdes et les groupes sauveterriens ou sauveterroïdes.

Cette longue permanence d'utilisations répétées contraste aussi avec la situation plus au nord (Tardenoisien et apparentés) comme au Midi (Sauveterrien et ses variantes). Aux Hauts-de-Lutz le mélange ne résulte pas seulement des ramassages trop larges, il est présent, à des taux divers, en de nombreux points du site. Lorges-1 échappe à ce défaut, le stade récent y est seul représenté. Dans tous les cas, les rapports numériques entre les classes d'armatures sont différents de ceux du Tardenoisien comme du Sauveterrien, les pointes à base transversale dépassant souvent la moitié du nombre des armatures.

D'autres caractères typologiques sont communs aux sites beaugenciens : tout d'abord la présence d'outils prismatiques qui paraissent à première vue assez analogues à ceux du Montmorencien. En réalité on distingue (Rozoy 1978, p. 828) un type de Montmorency rare à Beaugency et un type de Beaugency rare dans le Montmorencien (fig. 2 et 3). Les outils à section prismatique du Montmorencien (Tarrête 1977) sont généralement en grès, mais il y en a quelques exemplaires en silex et d'ailleurs ils débordent (mais à titre exceptionnel) dans l'espace tardenoïde où on en connaît des exemplaires isolés dans le Tardenoisien-nord et dans la culture de la Somme. Par contre, ceux du Beaugencien sont pour la plupart faits sur des plaquettes de silex, les exemplaires en grès sont plus rares (Nouel 1963, 14 pièces en grès sur 60). Les Montmorenciens recherchaient à la fois deux angles droits avec la face plane et le biseau opposé, les Beaugenciens sont exclusivement intéressés par ce biseau. La ressemblance grossière est dûe aux matériaux utilisés poussant à une taille à grands éclats, mais les conceptions typologiques sont différentes et il existe dans toute la zone beaugencienne (au sens large) un type à crochet (fig. 3) qui n'est pas connu dans le Montmorencien. Les outils prismatiques sont connus bien au-delà du Beaugencien dans les cultures restant à délimiter qui s'étendent plus au sud entre le Tardenoisien et le Sauveterrien, par exemple à Fléty dans la Nièvre (Desforges 1907, une quarantaine de pièces dans plusieurs stations), à Durdat-Larequille dans le Bourbonnais (Piboule 1969, avec des trapèzes). Ces outils sont absents des sites néolithiques classiques (à haches polies, tranchets et nombreux grattoirs), ils sont liés à la présence d'armatures microlithiques et de nombreux microburins.

Abondance considérable des microburins (3 à 6 par armature retrouvée) : cette autre anomalie (par rapport au Tardenoisien) est constante dans les sept premiers sites connus. Elle atteste la fabrication de très nombreuses armatures perdues en dehors du campement (lors de la chasse) et en permet une estimation numérique minimale : en effet, la plupart des types d'armatures en cause ne nécessitent la chute que d'un microburin par pièce. A supposer que toutes les armatures aient été faites par la méthode de section oblique sur enclume, il a donc été fabriqué jusqu'à six fois plus d'armatures que nous n'en retrouvons, et même plus si d'autres procédés ont été employés concurremment. Cette indication peut, avec une bonne vraisemblance, être étendue aux autres cultures où l'emploi de la méthode de section oblique sur enclume a été moins intensive. Les latéralisations contradictoires des microburins petits et grands confirment à Beaugency le mélange des industries de plusieurs époques (Quatrehomme 1969, Rozoy 1978, p. 830). L'abondance des microburins est retrouvée plus au sud (Cordier 1955 à 1964, Rigaud 1971, Perpère 1976).

Refus des trapèzes : les stades récent et final sont caractérisés par des armatures évoluées à partir des pointes du Tardenois, dont on a discuté le style ci-dessus. Ces pièces constituent la quasi-totalité des armatures, les trapèzes sont presque totalement absents. Mais les pointes du Tardenois évoluées présentent des caractères accessoires que l'on rencontre à ces époques sur les trapèzes évolués ou sur les types qui en dérivent dans les cultures à trapèzes : retouche moins abrupte, dimensions plus importantes etc. Ces éléments semblent représentés bien au-delà de cette culture dans une vaste région au sud de la Loire, jusqu'au massif central, mais certaines cultures de cette région admettent les trapèzes (Muides, Irribaria 1995, Durdat-Larequille, Piboule 1969), d'autres non. Les lames et lamelles Montbani ont été refusées aussi : on n'en trouve aucune. On a certainement employé autre chose à la place. (mais Rigaud, 1971, en signale sur des lames de débitage paraissant beaugencien).

Arrondissement ou troncature des pointes. Armatures coupées par la méthode du microburin : ces curieuses particularités, rares ou inexistantes dans les autres cultures, concernent un petit nombre d'objets (heureusement pour l'efficacité de la chasse !), mais elles sont retrouvées constamment dans le Beaugencien et il restera à voir si cela s'étend aussi plus au sud.

Presque tous les sites beaugenciens connus actuellement sont sur des limons (Charbuy-Les fusiliers est actuellement la seule exception, mais d'autres cultures voisines à très nombreux microburins sont trouvées sur sables, ainsi à Chissay, Cordier 1961, Allain 1966). Les Champs Bertin (N. Pigeot, 1973) sont aussi sur limons, et c'est un argument pour le rattachement du groupe des Richoux au Beaugencien. C'est là encore une différence nette avec les sites tardenoisiens fouillés sur des sables siliceux comme avec les gisements sauveterriens étudiés dans des abris calcaires. Cela tient certainement pour une part à l'historique de la recherche, à la plus grande facilité du tamisage des sables dans des régions où l'on ne connaît pas d'abris naturels. On a pu en effet montrer (Rozoy 1978, p. 565) que la fouille des sites tardenoïdes sur limons prend 20 à 40 fois plus de temps que sur sable, ce qui n'a pas incité à en fouiller beaucoup. Mais les sites tardenoïdes connus jusqu'ici sur des terrains lourds (par exemple Belloy-Plaisance, en fouille, et de multiples sites de surface ayant fait l'objet de ramassages) ne présentent ni la très grande abondance ni les larges surfaces occupées propres aux sites beaugenciens, ni les mélanges de styles. Sébouville est évidemment une exception (Tardenoisien néolithisé très abondant sur limons), mais précisément il est à la limite nord du Beaugencien et on peut y voir une influence frontalière. Il y a donc un choix culturel qui pourrait supposer des différences dans le mode de vie. L'existence de ces sites beaugenciens très abondants ruine complètement la trop fameuse "loi des sables" à laquelle on a cru jadis, elle correspondait à la plus grande facilité du travail pour les chercheurs et non à des conditions de vie des archers mésolithiques.

Le style de débitage du Beaugencien est très différent de celui du Tardenoisien (même du Tardenoisien-sud qui en est voisin). Les cultures au nord du Beaugencien utilisent toutes des styles identiques (styles de Coincy, puis de Montbani) ou très analogues (Coincy peu modifié dans l'Ardennien). Les Beaugenciens débitent leurs silex de toute autre façon, aboutissant à des produits qui sont à la limite des lames, des lamelles et des éclats. Ce débitage (ou ses variantes) paraît commun à plusieurs cultures dans l'espace au sud du Beaugencien. D'après J.-M. Violot (1994) qui l'a décrit brièvement, ce style entraînerait certaines particularités typologiques des armatures. La dénaturation des silex par les engins agricoles n'empêche pas les études techniques du débitage, il faudrait donc que celles-ci soient entreprises en utilisant les séries collectées par MM. Quatrehomme (Beaugency, Meung), Marquenet (Lorges) et Huchet (Saint-Privé).

Le Beaugencien n'est certainement que le premier représentant identifié d'une vaste famille de cultures qu'il faudrait caractériser mieux entre les cultures tardenoïdes et les Sauveterriens (fig. 4). Il y a place là pour 5 à 10 cultures (à raison de 15 000 km2 en moyenne par culture, Rozoy 1996). Un vaste champ de travail s'ouvre aux chercheurs de ces régions, qui y seront assurés de défricher du nouveau, tout particulièrement en ce qui concerne les techniques de taille et de confection des pièces, si en faveur actuellement.

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