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Docteur Jean-Georges Rozoy


Résumé des abréviations utilisées dans les articles : consulter la liste.

1963

Dr J.-G. ROZOY

LA CABANE FUNÉRAIRE À LA TÈNE I



Explication de la terre noire des tombes gauloises.

Au mois d'août 1962 ont été mises au jour dans l'important cimetière La Tène I de Pernant (Aisne) près de Soissons deux tombes qui permettent la reconstitution d'une cabane funéraire et d'une inhumation sous coffrage en bois. Ce sont là deux variantes d'une même tradition remontant à l'âge du Bronze (et au delà), et qui consiste à éviter le contact de la terre sur le corps. Mais cette pratique n'était jusqu'ici identifiée que sous des Tumulus (2). Je pense qu'il est possible de la retrouver au second âge du Fer dans de nombreuses nécropoles à tombes alignées.

La nécropole de Pernant est située au bord de l'Aisne, dans une couche de sable clair recouvert de 25 cm de terre végétale brun foncé. Mon ami G. Lobjois, de Laon, directeur de la fouille, que je tiens à remercier ici tout particulièrement, avait remarqué dès 1961 des traces de pieux. Il organisa en 1962 leur relevé méthodique. La plupart des tombes en comportaient 3 à 5 mais la tombe n° 26 devait en fournir 65 (sans compter les cas douteux, écartés du relevé) (Fig. 1). Cette tombe, publiée par G. Lobjois dans la Revue du Nord (déc. 62) était celle d'un homme de 1,80 m avec 3 fers de lance, 3 vases, 2 offrandes animales (1).

Les traces de pieux.

Il s'agit de traces brunes ou noires, cylindriques, verticales ou faiblement inclinées, suivies depuis la terre végétale jusqu'au niveau -45 à -60 selon les cas, se terminant en pointe la plupart du temps, et sans aucune communication avec d'autres traces. Leur diamètre est celui même du pieu qui leur a donné naissance. Dans le sable en effet les pieux sont enfoncés sans que l'on ait à creuser des trous. Voici l'interprétation que j'en donne.

Le fait le plus remarquable est la série presque continue de 25 piquets de 7 à 8 cm, espacés de 10 à 20 cm (sauf 4 espaces de 45 à 50 cm) qui se trouvent dans la paroi même de la fosse. Cette constatation impose l'idée d'un étayage de ces parois, donc la fosse n'a pas été rebouchée. Ces piquets (sans doute reliés par des fascines horizontales) ont dû constituer les murs de la « Maison Rituelle du mort» (2).

Les deux poteaux dans l'axe de la tombe, à la tête et aux pieds, étaient particulièrement forts (plus de 25 cm). Ils ont dû supporter une poutre faîtière qui soutenait un toit à deux pentes, débordant le mur et calé par les pieux de la première enceinte.

La série de pieux extérieurs (dont la plupart apparaissent doubles, parce qu'ils ont été renouvelés) évoque un enclos (3) comme on en voit encore (en béton et chaines de fer) dans les cimetières actuels. Cette clôture a été entretenue, l'un des poteaux a été remplacé quatre fois.

La Fig. 3 (n° 1) est un essai de reconstitution de la cabane, qui rejoint celui élaboré par Lobjois (1). I! est évidemment conjectural, mais paraît plausible.

Le remplissage des fosses.

La terre de remplissage de la fosse 26 est particulièrement foncée et compacte. A l'exception de la tombe 20 et des fosses vides autour de la tombe 26, la plupart des autres fosses ont un remplissage beaucoup plus clair formé d'un mélange de sable, de gravier et d'un peu d'humus, tandis que le remplissage de la tombe 26 ne contient que la terre végétale, avec la même proportion faible de sable et gravier qui la caractérise à la surface de tout le champ. D'autres tombes avaient un remplissage brun foncé, mais situées dans la partie Sud de la fouille où la terre végétale était épaisse de 60 cm, il n'a pu y être observé de traces de pieux (T. 33 par exemple).

Le remplissage de "la plupart des sépultures s'explique aisément: les fossoyeurs mélangent tout naturellement le sol et le sous-sol, tant au cours du creusement de la tombe que lors de son rebouchage. On obtient donc sur toute la hauteur de la fosse un mélange brun-clair par la dilution de la faible terre végétale gauloise (plus réduite que la nôtre) dans une assez grande quantité de sable et de gravier (Fig. 2, n° 1). La putréfaction des parties molles peut entraîner une certaine descente de ce mélange, généralement compensée par le monticule de la terre excédentaire (Fig. 2, n° 2).

De toute façon, il se constitue à la surface la couche naturelle de terre végétale qui n'excède pas quelques centimètres (Fig. 2, n° 3). Par la suite, après l'abandon du cimetière, la culture rétablit le caractère de terre végétale dans toute l'épaisseur normale (ici 25 cm) (Fig. 2, n° 4). C'est pourquoi, après décapage, les tombes apparaissent comme des taches brun-clair dans le sable gris jaunâtre pâle.

Il en va tout autrement pour les tombes 20 et 26 qui apparaissent en noir à l'état humide, en brun très foncé à l'état sec : aspect de la terre végétale identique à celle de la surface, jusqu'au fond dans la tombe 26, et même sous les diaphyses des os longs qui ne reposent sur le sable clair que par leurs épiphyses plus volumineuses; jusqu'à un niveau intermédiaire seulement dans la tombe 20, le fond (contenant le squelette) étant occupé par le mélange habituel (Fig. 2, nos 8 et 12).

Cet aspect des deux tombes 20 et 26, et des fosses vides autour de la tombe 26, ne peut recevoir qu'une seule explication raisonnable : le comblement spontané des fosses abandonnées par le ruissellement, les détritus végétaux et animaux et finalement le nivèlement par la culture. Nous ne connaissons aucune autre possibilité pour expliquer une poche de terre noire, non mélangée de sous-sol, à un niveau brutalement inférieur à celui de la culture environnante. La putréfaction du corps en effet ne fait descendre que la terre de rebouchage qui le recouvre, c'est-à-dire une terre de mélange contenant plus du sous-sol que du sol. (Fig. 2, n° 2). Et le rebouchage volontaire par apport de terre noire (et évacuation au loin de la terre extraite!) paraît en l'absence de tout commencement de preuve, une fantasmagorie pure. C'est un vestige d'une époque romantique de l'archéologie, comme les « cités lacustres » et les « fonds de cabanes ».

Les débris céramiques trouvés dans la tombe 26 (en particulier au niveau -0,30) se raccordaient tous au grand vase, sauf un seul tesson. Le nombre des charbons de bois découverts était faible. Il n'y a donc pas lieu d'évoquer ici un hypothétique rebouchage avec « de la terre noire provenant des habitats » ou même des champs environnants.

Cet apport, qui parait bien prouvé pour les tumuli des champs d'Urnes par notre ami Bernard Chertier (4) semble avoir disparu ici. il ne reste de cet ensemble que la cabane funéraire, dont le toit pouvait comporter une couche de terreau. Le tertre (dont la constitution rendait nécessaire un apport de terre) n'aurait d'ailleurs pas eu sa place dans un cimetière à tombes alignées, donc entretenues assez longtemps pour que puissent se constituer ces alignements. Il est remarquable cependant que le tertre surmontant la cabane se retrouve à la Tène II dans la forêt des Pothées (5) ; il s'agit là, il est vrai, d'une vague de Celtes fortement germanisés où la tradition tumulaire a pu se conserver plus longtemps. Aux Pothées bien entendu manquent totalement les alignements serrés qui caractérisent les cimetières de La Tène I (à Pernant, la tombe 26 fait partie d'une rangée de six).

Le remplissage confirme donc ce qui était suggéré par les pieux : la constitution autour du défunt de la tombe 26 d'un caveau funéraire, probablement en forme de cabane (Fig. 2, n° 5) dont l'effondrement ultérieur aura entraîné divers désordres, en particulier le couchage de la partie haute de la paroi Nord (Fig. 2, n° 6 et n° 7) et l'écrasement vertical du vase à fond rond. Les vases de cette tombe n'avaient pas de couvercle, contrairement à ceux des autres tombes. Cependant la plupart des ossements devaient être au moment de l'effondrement empâtés par une terre d'infiltration qui les a relativement protégés. Ultérieurement le comblement progressif (Fig. 2, n° 8) explique la continuité de la terre noire. Le gel est sans doute la cause de certaines irrégularités des bords de la fosse, dont cependant la partie supérieure détruite par la culture n'a pu être observée.

L'inhumation sous coffrage.

Pour la tombe 20, la présence au fond du mélange classique nous oblige à penser que le comblement naturel évoqué précédemment s'est opéré sur une fosse déjà à demi comblée (Fig. 2, nos 10 et 11). Il est impossible que dans un cimetière en cours d'utilisation (la tombe 20 est au milieu d'une rangée de trois) une sépulture soit restée à demi béante, et donc le mélange que nous avons trouvé au fond devait nécessairement, lors du creusement de la tombe suivante (19 ou 21) affleurer la surface. Il est donc nécessaire de supposer un coffrage de protection du corps, soit reposant sur des pieux ou des cales dans la tombe, soit encastré à mi-hauteur (Fig. 2, n° 9).

L'effondrement du coffrage permit ensuite au mélange qu'il supportait de venir au contact du squelette (Fig. 2, n° 10) et le vide apparu en surface se combla progressivement (Fig. 2, n° 11). La culture ultérieure augmenta (au détriment du sous-sol) l'importance de la couche végétale (Fig. 2, n° 12) mais pas assez cependant pour nous masquer la différence du niveau. Notons qu'il aurait suffi d'un coffrage placé plus bas (au ras du corps) pour obtenir un niveau supérieur du mélange à — 0,25, niveau atteint actuellement par la terre végétale. Dans ce cas (peut-être assez fréquent) l'existence du coffrage n'aurait pu être devinée.

Rappelons qu'à Villeneuve-Renneville (Marne) notre ami A. Brisson a observé des banquettes (tombes 37 et 41), qui à son avis donnaient appui à des coffrages analogues (6). Vu la faible hauteur des banquettes (15 et 20 cm), ces coffrages devaient être constituées non par des planches horizontales (dont la résistance d'ailleurs serait médiocre) mais par deux plans inclinés préfigurant le couvercle actuel « en toit » de nos cercueils. De là à la cabane funéraire dépassant le sol on peut imaginer tous les intermédiaires, recouverts d'une couche de terre plus ou moins importante, ou d'un toit en chaume (Fig. 3). Dans tous ces cas le corps est préservé du contact de la terre, au contraire des tombes ordinaires de Pernant.

On a objecté que dans l'hypothèse de la cabane non rebouchée les odeurs attireraient des carnassiers. Il ne faut pas exagérer cela. Les vêtements d'une part (seul le visage est à nu, et encore n'est-ce pas sûr), et la cabane bien construite et bien fermée de l'autre, peuvent parfaitement arrêter les odeurs et empêcher les bêtes d'entrer, surtout si on remplace le chaume par une couche de terreau ou des mottes de gazon.

Portée générale de ces observations.

A Pernant quatre tombes seulement sur 16 présentaient un remplissage de terre noire. Mais nous savons qu'en Champagne dans la craie cette terre noire est la règle. Je pense que les multiples observations faites depuis un siècle sur la « terre de fosse » des tombes gauloises gagneraient à être revues dans cette optique : ou bien mélange de sol et de sous-sol, et donc tombe rebouchée; ou bien terre noire au fond, présomption de caveau funéraire se comblant ultérieurement de lui-même; ou encore deux couches : rebouchage en 2 temps supposant un coffrage recouvert de la terre extraite; possibilité encore d'un rebouchage (avec le mélange) après effondrement de la cabane funéraire, d'où inversion des couches. Et ne pas oublier en Champagne que la terre végétale actuelle est rendue grise par son mélange avec la craie lors du labourage moderne. La terre végétale gauloise était sans doute plus mince et plus noire. Surtout, rien ne peut être plus noir que le rebouchage spontané d'une fosse abandonnée.

Malheureusement, la plupart des auteurs ne publient pas de coupes ni d'indications claires expliquant l'épaisseur et la nature des diverses couches rencontrées. La publication de ces coupes devrait être considérée comme aussi (et plus) importante que la typologie des vases et des bijoux. Leur établissement est facile au moment de la fouille lorsque le terrain s'y prête, ce qui est !e cas le plus fréquent (s'il ne s'y prêtait pas, le repérage des tombes serait pratiquement impossible).

Aussi, j'adresse un pressant appel à tous nos collègues pour que dès l'été prochain, ils relèvent (et publient) les coupes de toutes les tombes gauloises qu'ils fouilleront. Je demande à ceux qui ne publieraient pas leurs coupes de me les communiquer, et à ceux qui ont déjà des coupes dans leurs dossiers, de les publier ou de me les communiquer.

Seule l'étude de plusieurs centaines de ces coupes permettra de se faire une idée correcte (que ce soit la mienne ou une autre) de la structure de ces tombes.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

1. — G. LOBJOIS. — Remarques sur une sépulture de la nécropole La Tène I de Pernant (Aisne). Revue du Nord, déc. 1962, pp. 403-408.

2. — HATT Jean-Jacques. — Rites funéraires des Celtes et des Protoceltes. La Maison Rituelle du Mort. B.S.A.C., n° 1, janvier-juin 1957.

3. — BRISSON et HATT. — Cimetières Gaulois à enclos en Champagne. I. Le Cimetière de l'Homme Mort à Ecury le Repos, Marne. R.A.E., 1955, pp. 313 à 333.

4. — CHERTIER Bernard. — La civilisation des Champs d'Urnes en Champagne : Sa céramique, ses rites funéraires; in : Annales publiées par la Faculté des Lettres de Toulouse, année IX. 1960. fasc. 3. Travaux de l'Institut d'Art Préhistorique III.

5. — FROMOLS. — Recensement des tumulus et fouilles archéologiques dans la forêt des Pothées (Ardennes). Fouilles de MM. BRISSON, LOPPIN et HEGLY, in : Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne, 1955, p. 5.

6. — BRETZ-MAHLER D. et BRISSON A. — Le cimetière gaulois du Mont Gravet, R. A. E., 1958, p. 204.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

Fig. 1. Relevé des traces de poteaux autour de la tombe 26 de Pernant.

Fig. 2. Cimetière La Tène I de Pernant. Evolution des tombes après abandon.

A gauche : tombe ordinaire (rebouchée). Au milieu tombe 26 (cabane funéraire). A droite : tombe 20 (avec coffrage à mi-hauteur). Ligne du haut : état au jour des inhumations. 2e ligne après pourriture des corps et des bois. 3° ligne : 10 ans après : comblement progressif. 4e ligne : état au XXème siècle.

Fig. 3.1 Pernant, tombe 26.

Essai de reconstitution de la cabane funéraire.

Fig. 3.2 Divers types de sépultures sous coffrages.

En haut : au soir de l'inhumation ; en bas : les mêmes au XXème siècle.


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